vendredi 16 mars 2007

Rencontre avec Robert Fisk







Photo : Editions A&R

Le reporter de guerre de l’Independent Robert Fisk, sort en France « Liban, Nation Martyre » son livre bestseller dans lequel il revient en détail sur les trente dernières années de l’histoire tragique de ce pays. L’occasion pour le Magazine.info d’interroger ce témoin clé du Moyen-Orient sur la situation toujours tendue de cette région.


Le Magazine.info : Comment expliquez-vous le destin tragique du Liban où les guerres se succèdent ?

Robert Fisk : La tragédie du Liban c’est d’être un état confessionnel où, par exemple, le président de la République doit être chrétien, le Premier ministre sunnite et le Président de la Chambre des députés chiite. Or si vous voulez avoir un état moderne il faut abandonner le confessionnalisme politique. Mais paradoxalement, sans le confessionnalisme, le Liban perdra son identité et il ne peut survivre à une partition. Pour ces raisons il est toujours sous la menace de crises et de guerres, sans parler de sa position géostratégique dans la région. Il suffit de voir aujourd’hui de quelle façon il paye le prix des tensions entre les Etats-Unis et l’Iran, entre les Syriens et les Israéliens qui agissent comme si le pays leur appartenait. C’est un pays très facile à déstabiliser qui ne connaitra la paix que dans le cadre d’un accord global dans la région.

Le Magazine.info : A la veille du cessez le feu qui mis fin à l’offensive israélienne de l’été 2006, vous avez écrit dans votre livre « la vraie guerre commence aujourd’hui », pourquoi ?

Robert Fisk : Le Hezbollah est sorti renforcé par cette guerre parce qu’il a tenu tête à l’armée israélienne. De plus, il dispose encore de ses armes. De son coté Israël n’a rempli aucun de ses objectifs. La situation reste critique puisque les incidents sont légion à la frontière, comme par exemple les violations de l’espace aérien libanais par les avions de chasse israéliens. A force de provocation, il n’est pas exclu que le Liban soit le théâtre d’un nouveau conflit armé entre ces deux protagonistes. Je pense aussi qu’il faut craindre des attaques contre la Finul, perçue par des groupuscules islamistes comme une force armée occidentale.

Le Magazine.info : Que pensez-vous des récentes déclarations de Condoleezza Rice, qui a affirmé qu’il n’y aura pas d’arrangement avec la Syrie et l’Iran au détriment du Liban ?

Robert Fisk : Aujourd’hui le Liban est une des pièces du puzzle de la politique étrangère américaine. Le jour où il ne sera plus utile à Madame Rice, les Etats-Unis n’hésiteront pas à l’abandonner au profit d’un autre pays de la région. Les libanais se rendront alors peut-être compte que la bienveillance américaine était en fait un cadeau empoisonné.


Le Magazine.info : Votre livre couvre les évènements du pays du Cèdre depuis plus de 30 ans. Qu’avez vous appris au contact de sa population ?

Robert Fisk : Je vis depuis plusieurs années maintenant à Beyrouth. J’ai découvert au Liban qui est le commencement de l’Orient, une population très éduquée, très cosmopolite. Chaque libanais est potentiellement journaliste, parce que ce peuple est obsédé par l’actualité de son pays et par celle du Moyen-Orient. D’ailleurs la presse libanaise est à mon avis la meilleure de la région. Malgré les assassinats de Gebran Tuéni et de Samir Kassir en 2005 qui sont une déclaration de guerre contre la profession, les journalistes locaux continuent de faire leur travail avec courage.

Le Magazine.info : Quel regard portez-vous sur la situation actuelle au Moyen-Orient ?

Robert Fisk : J’ai récemment comparé pour un de mes articles le nombre de soldats occidentaux présents actuellement dans le monde arabe avec celui des croisés du Moyen Age. D’après mes calculs, nous avons aujourd’hui 22 fois plus de soldats occidentaux qu’à l’époque ! Toutes les grandes ambassades américaines du monde arabe sont transformées en forteresse, comme les châteaux-forts des croisés. Je vous rappelle que nous sommes présents en Jordanie, au Qatar, au Kazakhstan, en Turquie, en Ouzbékistan, à Bahreïn, au Koweït, en Egypte, au Yémen, en Arabie saoudite et au Liban avec la Finul. C’est un rideau de Fer ! Ben Laden n’est pas aussi ridicule que ça quant il parle de croisade de Bush ! Ce n’est pas en interdisant le dentifrice dans les avions que Tony Blair réussira à stopper les attaques d’Al Qaeda. Il pourra leur couper l’herbe sous les pieds en étant plus juste et plus respectueux avec les peuples du Moyen-Orient qu’il prétend vouloir libérer. Mais c’est de nous, Occidentaux, qu’il faut les libérer !

Le Magazine.info : Vous avez couvert de nombreux conflits, peut-on rester objectif devant la tragédie de la guerre ?

Robert Fisk : En tous cas ce que je peux vous dire c’est qu’il faut être du côté des victimes, il faut être engagé dans son travail et pas seulement relater des faits. Il faut aller sur le terrain, vérifier par soi même, interroger les civils et non pas se contenter comme certains journaux américains de citer plus d’une dizaine de fois par article des sources officielles. On m’accuse parfois d’être pro-palestinien. Mais je m’excuse de vous dire que les colons israéliens occupent une terre arabe et que Gaza est occupée par Israël. Est-ce être pro-palestinien que d’affirmer ces vérités ? J’aurais dénoncé la situation inverse si les palestiniens occupaient un territoire israélien.

Le Magazine.info : En tant que reporter de guerre, quelle conflit ou bataille historique auriez-vous aimé couvrir ?

Robert Fisk : (Son visage s’illumine) Sans hésitation la Deuxième Guerre Mondiale ! J’aurais aimé couvrir Stalingrad, le Débarquement du jour J, la grande bataille d’Angleterre ! C’est un film d’Hitchcock traitant de cette période qui m’a donné l’envie à 12 ans de faire ce métier.

Marc Daou

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